Vers une nouvelle crise bancaire ?


La récente dégringolade boursière des banques divise les experts. « Nous ne sommes pas en 2008 », martèle Marie-Anne Barbat-Layani, qui juge le système bancaire plus solide et davantage surveillé. Christophe Nijdam, en revanche, pointe les effets nocifs des taux d’intérêt faibles et le risque de crise systémique. Marie-Anne Barbat-Layani. Enarque de formation, elle a démarré sa carrière au Trésor, en 1993, avant de devenir attachée financière à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Ancienne directrice adjointe du cabinet de François Fillon à Matignon, elle a pris, début 2014, la tête de la Fédération bancaire française. Christophe Nijdam. Expert reconnu de la finance, il a occupé pendant plus d’une douzaine d’années des fonctions de direction au sein de plusieurs grands établissements bancaires en France et aux Etats-Unis. Il dirige depuis début 2015 l’ONG bruxelloise Finance Watch. Il est aussi l’auteur, avec Jézabel Couppey-Soubeyran, du livre Parlons banque en 30 questions, à La Documentation française. L’indice européen des valeurs bancaires a chuté de 20% depuis le début de l’année. Aux Etats-Unis, le gourou de la finance Bill Gross invite les investisseurs à fuir les valeurs bancaires. Va-t-on vers une nouvelle crise? M.-A.B.-L. La situation actuelle n’a rien à voir avec celle de 2008. Le secteur bancaire a énormément évolué. Certes, nous venons d’avoir une alerte sur les marchés. Mais celle-ci s’explique aussi bien par des facteurs « globaux » que par des problématiques propres au secteur bancaire. Par exemple, les investisseurs ont de sérieux doutes quant à la solidité de la croissance mondiale. La chute des cours du pétrole les inquiète également. Cela dit, il y a aussi une vraie interrogation sur la rentabilité des banques. Enfin, on ne sait pas très bien quel sera le niveau d’exigence en capital qui s’appliquera, dans les mois et années à venir, aux établissements financiers. Cette incertitude réglementaire pèse sur les valeurs bancaires. D’autant plus que la volatilité reste forte. C.N. C’est exact: il y a dans la chute des marchés un aspect macroéconomique. Cependant, le secteur bancaire est plus attaqué que d’autres secteurs cycliques. Et ce n’est pas un hasard. En effet, les taux d’intérêt sont proches de zéro, ce qui crée un environnement potentiellement délétère pour le modèle économique des banques dites « universelles ». Je m’explique: lorsque le rendement d’une obligation à trente ans passe de 0 à 1%, la perte en capital est de 26%. En d’autres termes, une obligation qui valait 100 ne vaut plus que 74. En revanche, lorsque ce même rendement passe de 5 à 6%, la perte en capital n’est « que » de 14%. Les activités de marché des banques sont donc exposées à de fortes pertes en capital. Le marché l’a compris. Mais ce n’est pas tout. Les banques ont un autre problème sur les bras: quand l’argent ne coûte rien et que la courbe des taux est plate – c’est-à-dire lorsque les taux longs se rapprochent des taux courts -, elles ne peuvent plus s’adonner à leur sport favori, le carry trade. Le ralentissement de cette activité, qui consistait à acheter et à stocker des titres en jouant sur les différentiels de taux, fait chuter mécaniquement la rentabilité de leurs salles de marché. La faiblesse des taux d’intérêt a aussi un impact négatif sur la partie « banque de détail »: emprunter à court terme pour prêter à long terme ne rapporte plus autant qu’avant. De même, cela pénalise les activités de gestion d’actifs et d’assurance-vie. La soi-disant résilience du modèle « universel » est ainsi remise en cause dans ses fondements. M.-A.B.-L. Je vous rejoins sur un point. La configuration actuelle des taux d’intérêt n’est pas très favorable. Cependant, les politiques monétaires responsables de cette situation n’ont pas vocation à durer. On peut imaginer que l’on va revenir progressivement vers un environnement plus normal. Par ailleurs, l’action des banques centrales a été un succès: le crédit repart. En France, il a progressé de 4,5% sur un an. Et, dans la zone euro, nous sommes repassés en territoire positif. Encore une fois, la situation n’est pas catastrophique: les résultats des grandes banques françaises sont bons. Le fait qu’elles résistent illustre la pertinence de leur modèle de banque universelle.


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